Coordination Internationale des Alpes Occidentales

Mr Luc DOCHY - Economiste

26/12/2014 15:08

Indépendamment des arguments écologiques que l’on peut opposer au projet, il est intéressant de l’analyser dans une optique purement économique. J’ai lu le dossier des promoteurs et j’ai assisté la présentation du 26 octobre. Je suis frappé par la légèreté des études. Je me suis livré à quelques calculs simples sur base des chiffres connus relatifs à des attractions comparables. Les hypothèses de fréquentation paraissent optimistes, si l’on compare avec des sites proches, comme Paradisio ou la piste de ski de Comines. J’ai été moi-même responsable du marketing du Parc Paradisio et je sais donc les efforts qu’il a fallu consentir pour arriver à 500.000 visiteurs/an avec un produit dont l’attractivité est plus large, ne fût-ce qu’en termes de tranches d’âge visées par le concept. Par ailleurs, les promoteurs semblent compter sur une fréquentation régulière tout au long de l’année et ne pas tenir compte de la forte saisonnalité de l’activité. Or le calendrier d’exploitation qui est directement lié aux rythmes scolaires, ce qui limite la capacité réelle d’hébergement.

Plus grave à mon sens, car on voit ici la volonté de manipuler les responsables politiques : l’impact en termes d’emploi est très largement surévalué. Dans l’étude, les chiffres sont avancés sans aucune justification, sans aucun détail. Mais à nouveau, l’observation des sites comparables est éclairante d’autant que les contraintes de gestion sont les mêmes pour tout le monde : Paradisio emploie actuellement +/- 100 personnes (ETP) et la piste de ski de Comines, 40. Sans connaître les infrastructures, il est difficile d’évaluer les emplois nécessaires mais, compte tenu des coûts de personnel et des nouvelles hypothèses de fréquentation, j’estime que l’emploi généré par le projet pourrait se situer entre 200 et 250 personnes (équivalent temps plein) s’il atteint ses objectifs commerciaux. S’il ne les atteint pas, on peut craindre que l’impact sera simplement nul en cas de faillite.

Je m’interroge aussi sur la simple rentabilité du projet : les informations sont lacunaires et des questions fondamentales sont aujourd’hui sans réponse alors que l’on demande aux autorités publiques une décision lourde de conséquence concernant 350 ha. Par exemple : quelles sont les hypothèses retenues pour le prix de l’énergie consommée abondamment pour fabriquer du froid quand il fait chaud. Si on se base sur les prix actuels pour calculer les coûts dans dix ans, on risque de se tromper lourdement… Ou encore : quelle est la dépense moyenne escomptée dans le parc ? Et donc : quel est le profil socio-économique des visiteurs espérés ? (voir plus bas) Si un financement public est demandé pour certains investissements, on peut aussi s’interroger sur les conséquences sur les sites existants : le marché touristique est lui aussi confronté aux contraintes de ressources des ménages et n’est donc pas extensible à l’infini.

J’estime aussi que l’investissement envisagé est extravagant et met en péril l’équilibre financier du projet : les promoteurs avancent maintenant un montant de 425 millions €, hypothèse basse ! (plus de 17 milliards de FB, pour les nostalgiques). Pour mettre ce chiffre en perspective, il faut savoir que cela représente 17 fois l’investissement consenti à Paradisio de 1992 à 2002 et le site de Cambron accueille seulement 250.000 de visiteurs en moins que les prévisions pour le centre de glisse. A mon sens, il est donc impossible économiquement de rembourser les emprunts nécessaires avec 750.000 visiteurs/an (moyenne des 2 hypothèses présentées le 26 octobre). Il faut dire qu’on a vu grand : parmi les diverses possibilités d’hébergement, il est prévu rien moins qu’un hôtel-restaurant de luxe de 80 suites, une capacité totale de 4000 lits…

Reste la question du positionnement. Un autre calcul permet de déduire la dépense moyenne par visiteur : 125 €, à multiplier par 3, 4 ou 5 pour une famille… Un loisir qui n’est peut-être pas à portée de toutes les bourses … A l’occasion de la présentation du projet le 26 octobre, les promoteurs ont avancé, pour les visiteurs hébergés (de 270.000 à 350.000 chaque année), un coût moyen de 800 € pour une famille pour un séjour de 4 jours. C’est un montant considérable qui nécessite une attractivité forte (comme Disneyland Paris, par exemple). L’attrait des sports de glisse en conditions artificielles sera-t-il suffisant ? On peut en douter. Prenons l’exemple du ski, a priori la proposition emblématique du concept : les familles qui peuvent se permettre une telle dépense trouveront peu d’intérêt sur une piste fermée de 60 mètres de dénivelé. Vu leur niveau de revenus, elles préféreront la « vraie » sensation du ski : la montagne, les paysages grandioses, le grand air et les descentes vertigineuses. Et ceux qui seraient un peu moins nantis pourront, pour le même prix, s’offrir une semaine dans les Vosges. Si on lâche le ski, on peut trouver, pour un peu plus, un séjour tout compris en Tunisie ou en Turquie, avec le soleil qui n’est pas garanti à Antoing.

En conclusion, du seul point de vue économique, le projet est très critiquable : il pèche, à mon sens, par des investissements démesurés, des chiffres de fréquentation excessifs qui ne tiennent pas compte de la saisonnalité de l’activité et un positionnement flou. Il vrai que les décisions économiques se prennent avec un certain degré d’incertitude mais dans le cas présent, trop d’indicateurs virent au rouge.



PS : Le bureau Fourcade a rappelé fort opportunément son concours à la réalisation de Puy du Fou mais il est aussi l’initiateur de « MIRAPOLIS », parc à thème axé sur les contes et légendes de France installé sur la commune de Courdimanche dans la ville nouvelle de Cergy Pontoise. Ce parc "à la française" était situé à 25 km de Paris sur 90 hectares dont 45 hectares d'attractions. L'investissement initial était de 400 millions de FF (60 millions d'Euros) et le nombre de visiteurs attendus était de 2.5 millions de visiteurs. Avec un effectif nécessaire d'au moins 500 personnes, le seuil de rentabilité fut loin d'être atteint avec un total de seulement 800.000 visiteurs en 1987 pour la première saison et 400.000 à peine en 1991 pour la dernière saison. Le site est actuellement en ruines. (https://pageperso.aol.fr/bottomcircle/Mirapolisdisparu.html) 

 

Luc DOCHY

Économiste, licencié et maître de la faculté de Namur en 1986, actuellement professeur d’économie à la Haute Ecole Libre du Hainaut Occidental, à Tournai.

Cadre et administrateur de la SA Paradisio de 1993 à 2001.

Administrateur, membre du comité d’étude des crédits de la SA Hoccinvest depuis 1989