Ce projet d’abord appelé centre européen des sports de glisse a été opportunément rebaptisé des sports de glisse « et de nature ». Il est antinomique au développement durable. Il est excessivement consommateur d’espaces et de ressources naturelles, mais il est aussi « consommatoire » dans sa philosophie. Il nous propose un mode de consommation dans lequel la nature est devenu un produit marketing que l’on étreint pour mieux la tuer. Cette consommation a des incidences sur l’espace foncier disponible, le paysage, la biodiversité, la production de déchets et de pollutions, l’augmentation des déplacements, l’énergie, l’eau. C’est aussi un projet qui privilégie un certain type de liens humains, celle de liens marchands où ce qui était gratuit devient « artificialisé » et commercial.
Ce projet pose un certain nombre de questions en terme d’aménagement du territoire. Il nous propose une perspective de transformation du territoire qui ne s’inscrit pas dans le développement durable.
Nous serions plutôt en droit d’attendre une certaine idée de qualité dans la sobriété : le maintien de l’authenticité culturelle et de la richesse écologique de ce territoire, la réponse à de vrais besoins exprimés par la communauté humaine, le non gaspillage des ressources épuisables, la capacité offerte d’activités et d’emplois permettant à ses habitants de vivre, sans pour autant induire une mobilité excessive. Nous sommes en effet bien obligé de raisonner autant les incidences locales que celles plus globales, plus personne ne conteste le réchauffement climatique : il est de notre responsabilité d’intégrer l’impact de l’augmentation de déplacements dans les actions que nous encourageons. En résumé compte tenu de la richesse des espaces de nature dont certains sont classés au plan européen (bois, milieux humides, biodiversité des espèces), de la qualité du patrimoine humain et culturel de ce territoire, nous avons besoin d’un développement doux basé sur le tourisme vert et durable. Il est qualitatif et doit impliquer les bénéficiaires dans la conscience de la qualité des lieux, des milieux écologiques et des liens humains qui tissent ce territoire.
Les orientations régionales récentes en matière d’aménagement du territoire nous posent de nouvelles exigences, parmi lesquelles la lutte contre la consommation foncière des lieux de nature, la lutte contre les coupures et le morcellement des emprises naturelles existantes afin de maintenir la biodiversité, la lutte contre l’étalement urbain en règle générale. En Nord Pas de Calais, une directive régionale d’aménagement du territoire est en cours d’élaboration à ce propos. Il s’agit d’encourager au contraire le resserrement urbain autour des équipements et services nécessaires à la communauté. Il est bien question de réfléchir autrement la question de l’urbanisation dans un souci d’optimiser l’espace et les coûts publics induits, mais aussi de stopper le mitage de l’espace avec de nouvelles implantations et de nouveaux réseaux de transport.
Or nous avons affaire ici à un projet pharaonique et « mégalo », où tout semble excessif . On ne prévoit pas moins que la construction de 1165 logements, soit pratiquement la taille d’une petite ZUP pour reprendre un vocabulaire des années 70.
4 000 places de parking sont prévues sur des grandes zones spécifiques, (sans compter les stationnements spécifiques de desserte et de fonctionnement des différentes zones).
1 500 places de restaurants, hors bars et salons de thé, sont envisagées en 5 unités ! Il est fort à craindre que l’on soit fort éloigné de l’esprit de l’auberge forestière, de la guinguette ou de l’estaminet mais bel et bien dans la dure réalité de la cantine à touristes.
On y baptise « culture », ce qui pour l’essentiel est constitué d’un centre de séminaire et d’une espace de promotion pompeusement appelé office du tourisme. On nous propose une exploitation outrancière de l’espace, et l’on prévoit d’asservir la nature réelle à version artificialisée de la nature : on remplace la nature qui existe par l’idée d’une nature idéale. Ainsi, dans l’étang aujourd’hui protégé, il est envisagé de créer un îlot artificiel « une île aux oiseaux », comme l’île aux enfants de nos souvenirs télé… En plus des 50 cabanes sur pilotis, 50 cabanes dans les arbres seront construites, tous les clichés idéalisés des parties de campagne sont ainsi proposés clé en main contre carte CB. Mais derrière cette univers enchanteur, c’est en fait du tourisme de masse que l’on nous vend plus proche du Disney carton pâtes que du rapport authentique à la nature…
Du point de vue de l’environnement :
Certaines affirmations semblent plus relever de l’affichage marketing que de réalités à venir : on parle de logements et équipements réalisés selon les normes de la HQE (Haute Qualité Environnementale). Ce serait du jamais vu : ainsi la promotion immobilière privée s’encombrerait à ce niveau de normes de qualité contraignantes et puisant directement à sa marge bénéficiaire ? Il est étonnant de plaider la HQE en étant aux antipodes du sens et des finalités écologiques qui ont présidé à la mise en place de ce référentiel de construction.
L’addition des hectares de surfaces imperméabilisées donnent le vertige, sans compter les surfaces vertes risquant de faire l’objet de traitements chimiques telle celle du golf : l’un et l’autre ont des incidences sur l’alimentation et la qualité de la nappe.
La consommation énergétique de ce projet est irresponsable dans son partis pris même : Il s’agit de créer des équipement sur-consommateurs d’énergie : patinoires, pistes de ski intérieures, complexe de piscine tropicale … au moment même où le réchauffement climatique et l’épuisement des ressources fossiles nous invitent à la sobriété.
La fragilité de la ressources en eau face à la création de besoins courants nouveaux et supplémentaires dus au projet (alimentation en eau potable, retraitement des eaux usées…), est certainement l’un des points les plus inquiétants. La pression et les atteintes concernent une nappe précieuse, fragile et limitée celle du calcaire carbonifère qui alimente le bassin de population allant de Lille à Tournai.
Du point de vue de l’économie, et dans le contexte de tourisme de masse qui nous est proposé, c’est une économie de capitaux qui est attendue, dont on ne maîtrise pas l’incidence sur l’économie locale du territoire. Cette économie de capitaux obéira à la logique de rentabilité des investisseurs, dans laquelle l’intérêt du boulanger du coin entre peu en ligne de compte. Le nombre d’emploi dont la création est prévue repose sur des affirmations dont aucune n’est étayées, et la comparaison avec l’emploi existant des centres de loisirs ailleurs laisse à craindre qu’ils ne soient largement sur-estimés et fantaisistes.
Il reste à poser la question la plus importante. Qui tire profit de ce projet ? Est ce bien l’intérêt public que l’on sert, celui des communes du territoire transfrontalier, celui des 2 Régions ? Est-ce l’intérêt des habitants ? Non. C’est l’intérêt du propriétaire foncier, le prince de Lignes ! C’est déjà l’intérêt des bureaux d’étude qui ont déjà -eux- , trouvé dans notre territoire leur « terrain de jeux » et quelques futurs marchés. Ce sera peut-être l’intérêt des investisseurs. En effet ce projet nécessite des investissements considérables, tant pour la construction des équipements et logements, que pour la gestion de l’ensemble jusqu’à ce qu’un seuil de rentabilité soit assuré. Il y a une prise de risque, étonnamment forte lorsque l’on considère le projet dans son économie globale : la nature des investissement à opérer, le temps de nécessaire montée en charge, comparée au public solvable attendu conformément aux hypothèses de fréquentation posées paraissent en décalage. Alors qui sont aujourd’hui les investisseurs prêts à mettre quelques centaines de millions d’euros dans ce projet ? Qui sont-ils, où sont-ils, qu’est ce qui peut motiver leur prise de risque ? Qu’est ce que la collectivité publique va payer ? Quel retour financier la collectivité publique peut-elle espérer ?
Au regard de ces questions, je résumerai mon point de vue en disant qu’il s’agit d’un projet à visée spéculative qui ne sert avant tout que les intérêts d’une famille détentrice de biens et de richesse que l’histoire lui a permis de détenir. A cette particularité près, que les paysages, la biodiversité, l’eau, l’énergie font aujourd’hui partie du patrimoine collectif que l’on ne peut risquer de dégrader par la seule volonté d’un profit personnel.
Ce projet se situe au cœur du territoire du Parc Naturel Transfrontalier, qui associe le Parc Naturel Scarpe Escaut en France et le Parc Naturel des Plaines de l’Escaut en Belgique Wallonie. Cela fait des années que s’y élabore patiemment un développement qui respecte les ressources et valorise les richesses. On y encourage la création d’emplois durables et liés au territoire, on y intègre un espace urbanisé qui parle à la nature. Ce territoire est déjà soumis à une réelle pression foncière, qui peut lui être préjudiciable, mais qui témoigne bien de sa valeur : il est certain que la qualité préservée de son environnement contribue à son attractivité. Ici jusqu’à aujourd’hui, on ne mets ni le territoire sous cloche, ni la vie sous globe : on y invente dans le dialogue entre toutes les parties prenantes une nouvelle façon, qualitative et exigeante, de vivre ensemble. C’est le fruit de l’engagement de nombreux élus locaux dont celui de Daniel Mio Président du Parc Naturel Scarpe Escaut. N’aurait-on pas le droit d’être en colère de voir prendre corps un projet qui nie ce patient travail au moment même où le parc transfrontalier peut devenir au plan européen une référence de gestion environnementale d’un territoire habité ? Pour notre Région Nord Pas de Calais, faut-il rappeler la si faible proportion de territoires boisés 7% au regard des 25% de boisements qui caractérisent la France ? Ce que nous voulons partager avec nos amis Wallons, c’est la conscience de ce qu’est la véritable richesse et la volonté de ne pas lâcher la proie pour l’ombre …
Je rappellerai enfin que le Président de Région Daniel Percheron a fait part de son désaccord sur le projet au regard des inquiétudes qu’il soulève. Récemment, une rencontre entre la DIREN service extérieur de l’Etat, et les associations a eu lieu. S’appuyant sur les règles européennes, l’Etat côté français devrait demander à être informé et associé à l’évaluation des incidences.
En conclusion, nous voulons un modèle de développement qui nous ressemble et qui rassemble, et nous pouvons le faire sans mettre le territoire sous cloche…